 |  |
Notice sur la vie
et les travaux
d'Edouard Bonnefous
par M. André
Vacheron
séance du lundi 5 juillet 2010
Allocution de Jean Mesnard,
Président de l'Académie des sciences morales
et politiques
Madame le Sénateur des Yvelines, représentant
Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Président de la Commission des Finances
du Sénat,
Monsieur le Sénateur,
Monsieur le Chancelier,
Messieurs les Secrétaires perpétuels,
Mes chers confrères,
Mesdames, Messieurs,
Cher Confrère et Ami,
Voilà longtemps que nous nous connaissons. De mon côté,
c'est avant mon entrée à l'Académie des
Sciences morales et politiques et, naturellement, avant la
vôtre - les vôtres, devrais-je dire -, c'est même
avant de vous rencontrer, que j'ai appris votre nom et mesuré
votre renommée. Vous apparteniez en effet au cercle
d'éminentes personnalités qu'avait constitué
autour de lui, de longue date, mais surtout après l'éclatement
universitaire de 1970, celui qui fut alors le fondateur et
le premier président de l'Université de Paris IV,
le grand historien Alphonse Dupront. C'est donc du fait de
mes relations personnelles avec lui que j'entendis d'abord
parler de vous. Ce qui, dès l'origine, faisait beaucoup
plus que marquer une occasion et revêtait une grande
portée. Esprit d'une rare puissance, homme très
ouvert, soucieux de création et de renouveau, le Président
Dupront recherchait passionnément la compagnie d'autres
esprits, en vue notamment de les associer à ses tâches.
Il y en eut beaucoup d'éminents, et de toutes origines.
Mais il n'accordait pas aisément sa confiance. Du moins
laissait-il bien apparaître les fils conducteurs qui
guidaient ses choix. Il était d'abord sensible à
l'éminence professionnelle, soit traduite dans les
fonctions exercées, soit condensée dans des
écrits nourris d'expérience et de réflexion.
Il ne l'était pas moins à la capacité
de se plonger dans la réalité du monde, au-delà
de toutes les spécialisations et en allant jusqu'à
la limite de l'horizon humain, sur des thèmes aussi
porteurs que l'Université, la jeunesse, la francophonie
et, par-dessus tout, l'Europe. L'application de ces deux critères
l'a conduit, lorsque la maladie l'a contraint de se soumettre
à vos soins, à vous reconnaître auprès
de lui un statut qui dépassait de beaucoup celui de
médecin, et que l'on peut dire celui de témoin
de ses pensées, de confident et d'ami. Telle est la
situation dont j'ai reçu d'abord l'écho.
Une situation que je n'ai pas pu manquer de mettre en rapport
avec celle qui s'établit ensuite, en commençant
peut-être à la même époque, avec
le Chancelier Édouard Bonnefous. A l'intellectuel éminent,
trop tôt disparu, était venu se substituer, ou
s'ajouter, le grand homme d'État et l'homme d'action
inspiré. Mais les relations, fondées aussi d'abord
sur celle qui unit naturellement médecin et malade,
devinrent beaucoup plus étroites encore, et signalèrent
de hautes aspirations communes. Il ne m'appartient pas de
le montrer : vous allez le faire vous-même. Je
mentionnerai seulement, puisque, à ces moments-là,
je n'étais plus seulement informé par ouï-dire,
mais témoin et acteur, que j'ai, en connaissance de
cause, vivement applaudi à votre élection comme
membre correspondant de notre Académie des Sciences
morales et politiques, en 1998, et à l'exploit que
constitue chez nous le passage de cet état à
celui de membre à part entière, en 2009.
Entre ces deux dates, votre carrière professionnelle,
qui vous avait conduit jusqu'aux plus hauts emplois de la
médecine hospitalo-universitaire, s'était achevée
par le départ en retraite, non sans que vous ait été
attribué pour finir un titre de consultant qui vous
permet de vous trouver encore chez vous, soutenu par le respect
unanime du personnel, au service de cardiologie de l'hôpital
Necker.
`
En m'arrêtant un peu à cette période conclusive,
je me trouve bénéficier d'un excellent point
de vue pour jeter un coup d'il rétrospectif sur
tout ce qu'il vous a été donné de représenter
par vos actions et par vos travaux. J'avais envisagé
d'abord de montrer en vous un médecin qui sait dépasser
les limites de la médecine. Mais il m'a semblé
que la formule ne serait pas tout à fait exacte. En
fait, l'exercice de la médecine est pour vous, en lui-même,
une fonction véritablement totale. Car les différents
aspects qu'elle comporte se coordonnent chez vous d'une façon
tellement nécessaire qu'il est impossible de concevoir
l'un sans le complément de l'autre, seul moyen de cerner
tous les contours d'une autre réalité globale
dont vous avez fait votre objet toujours présent, l'homme
total.
Entre ces divers aspects qu'il faut bien maintenant essayer
d'embrasser, je commencerai par celui qui pourrait sembler
un terme naturel, la recherche. Non qu'il s'agisse là
pour vous d'un domaine secondaire où vous n'auriez
vu qu'une activité accessoire, à considérer
surtout par ses résultats exploitables. Mais parce
qu'une pratique exclusive, ou majeure, de la recherche vous
aurait mis sur le pied d'un chercheur de laboratoire, ce qui
n'est certes pas peu de chose, et peut se révéler
fort brillant, mais qui vous aurait écarté d'une
vie plus active dont vous ressentiez l'appel. Nul ne peut
méconnaître cependant l'importance exceptionnelle
de votre uvre de chercheur. Elle a concerné naturellement
une spécialité, la cardiologie, dans laquelle
vous avez acquis une maîtrise reconnue en France et
dans le monde. Entre les techniques destinées à
pallier les défaillances des vaisseaux irriguant le
cur, il n'en est guère qui n'ait été
examinée et perfectionnée par vous, en particulier
celle qui tient à l'emploi de ballonnets gonflables,
dont il faut surtout s'assurer qu'ils auront un effet durable,
et celle des stents, ces petits ressorts garnis d'enduits
divers qui préservent la circulation du sang dans des
artères rétrécies par la maladie. L'essentiel,
comme il est de règle dans la chirurgie cardiaque,
qui repose sur des principes au fond assez simples, consistant
à pouvoir suspendre momentanément la circulation
interne sans dommage irréversible pour le patient.
Obligation que des recherches auxquelles vous avez participé
ont contribué à rendre moins fréquente
en réduisant la part de l'intervention chirurgicale.
Mais je ne m'engagerai pas plus avant dans la technique. J'insisterai
surtout sur le fait qu'elle ne vous conférait pas simplement
un rôle solitaire. En même temps que médecin,
vous étiez professeur, et très actif dans cet
aspect de votre métier. Vous n'avez pas seulement dominé
la cardiologie de votre temps, vous avez assuré celle
de l'avenir. Beaucoup des chaires de cette spécialité
sont occupées à présent par vos élèves.
Vous avez joué votre partie dans la recherche internationale
sur le sujet, notamment lors de rencontres auxquelles vous
participez fréquemment aux États-Unis. J'ajouterai,
pour revenir progressivement à un autre aspect, plus
social, de votre carrière médicale, que vous
avez été un excellent vulgarisateur. Vous l'avez
été d'abord par le biais de votre entrée
à l'Académie de Médecine, en 1990. Mais
là, vous étiez aux côtés de vos
égaux. Il était plus difficile d'accomplir le
même exploit - qui requérait alors d'autres talents
- devant le public aussi varié qu'exigeant qui assiste
aux Colloques de la Fondation Singer-Polignac. J'y étais
présent, et je puis vous garantir que vous avez réussi.
En évoquant vos dons pour l'enseignement et pour la
vulgarisation, j'ai déjà touché quelque
peu à une autre face de votre personnalité médicale,
celle par laquelle tout commence, celle qui a fait de vous
un grand clinicien, prolongé aujourd'hui dans l'état
de consultant. Le dialogue entre le médecin et le malade,
dans lequel vous excellez, se présente avec vous sous
une forme un peu particulière, comme j'ai pu le déduire
de témoignages reçus et de mon expérience
personnelle. Ce n'est pas du tout, dans votre esprit, l'échange
qui pourrait se dérouler entre un savant et un ignorant.
Il vous établit beaucoup plus dans la situation d'une
disponibilité éclairée vis-à-vis
d'un questionnement, d'une demande, d'une inquiétude.
Certes vous n'oubliez jamais que vous avez à porter
un diagnostic et à prescrire un traitement : ce
que vous savez faire mieux que personne. Mais, entre le médecin
et le malade, vous concevez toujours une relation d'humanité,
c'est-à-dire où chacun peut et doit donner et
recevoir. Situation tout à fait réelle même
en ce qui touche l'appréciation de la maladie. Ce qu'y
voit le médecin n'est pas nécessairement ce
qu'y voit le malade. L'observation, d'un côté ;
le vécu, de l'autre. Mais les deux points de vue gagnent
à se composer ; et ils ne le peuvent que par le
dialogue. Vous savez attendre la parole de votre patient,
comme il attend la vôtre. Cette collaboration dans l'analyse
d'un état physique s'achève naturellement par
la prise en charge d'une attitude commune devant le problème
soulevé. Mais, à ce niveau de l'échange,
une interférence fondamentale s'est produite entre
le médical et l'humain. Il n'est donc pas surprenant
que la conversation, une fois dépassé son objet
immédiat, prenne une orientation plus générale
vers les grandes questions de l'heure. C'est ce glissement,
je suppose, qui s'est maintes fois produit lors de vos entretiens
avec le Président Dupront ou le Chancelier Bonnefous.
Ce qui, dans chaque cas, a donné naissance à
une réflexion de portée bien plus considérable
que celle qui était incluse dans la relation initialement
donnée. Voilà comment on peut passer de l'Académie
de Médecine à l'Académie des Sciences
morales et politiques.
Pour terminer, je voudrais m'arrêter en quelques mots
à ce qui est devenu pour vous l'horizon de votre engagement
médical. Je m'aiderai, pour le faire, de ces portraits
attachants de médecins que nous a laissés en
si grand nombre la littérature du XIXe siècle,
à commencer par les romans de Balzac. C'est une véritable
antithèse des médecins de Molière. La
science est passée par là, et aussi une certaine
exigence sociale. Le médecin est devenu un notable
et un sage. Certes l'idéalisation est sensible :
il s'y condense des besoins et des attentes. On évitera
donc toute simplification. Mais la difficulté d'opérer
une transposition du modèle vers notre époque
vient de ce que les temps ont beaucoup changé. Détenteur
d'un savoir complexe et harassé de tâches multiples,
le médecin d'aujourd'hui s'est à la fois banalisé
et isolé. Il est entré dans la logique de la
division du travail et ne se sent plus autant de plein pied
avec la société où il vit. Mais, pour
atteindre l'achèvement de la carrière et de
la vocation médicales, les mêmes idéaux
sont à promouvoir, qui, simplement, se formuleront
d'une nouvelle manière. Vous nous en proposez un essai.
Vous n'êtes plus un notable, mais vous avez une ambition
sociale. Vous concevez d'abord l'exercice de la médecine
comme une tâche collective, où il importe de
faire vivre les institutions, les associations, les centres
de recherche et de diffusion du savoir, où il s'agit
non seulement de pratiquer un métier, mais d'apprendre
à le pratiquer, en veillant à la qualité
de ceux qui s'y préparent, en ménageant comme
il convient la carrière de ceux qui s'y distinguent.
Plus fondamentalement, vous vous considérez comme revêtu
d'un rôle social. Vous rejoignez ainsi les préoccupations
qui ont de tout temps animé votre épouse Françoise,
elle aussi docteur en médecine, appliquée notamment
à la médecine du travail. Vous suivez évidemment
de près l'action des grandes missions médicales
envoyées de par le monde. Vous avez aussi été
en mesure d'apporter votre contribution à certaines
des entreprises du Chancelier Bonnefous, notamment au service
de l'enfance malheureuse.
Mais dans cette voie que votre maître et ami vous traçait,
et que vous avez tenu à suivre fidèlement à
ses côtés, vous avez aussi réalisé
un autre des accomplissements de votre métier. L'ambition
sociale est toujours présente, mais elle se double
de ce qui peut passer aujourd'hui pour un équivalent
de la sagesse, l'attention à l'humain. C'est ce qui
vous a amené à développer dans vos activités
cette frange où le savoir médical s'associe
à la recherche du bien commun, pour des objectifs aussi
vastes que l'équilibre de l'environnement, la maîtrise
des climats, voire la simple et si essentielle diététique.
Mais j'en arrive au point où il convient d'obtenir
le secours du Chancelier Bonnefous. Il vous appartient maintenant
de nous en parler.
La vie et les travaux d'Edouard Bonnefous par André
Vacheron,
Membre de lAcadémie des sciences morales et
politiques
Monsieur le Président,
Madame le Sénateur des Yvelines, représentant
Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Président de la Commission des Finances
du Sénat,
Monsieur le Sénateur,
Monsieur le Chancelier,
Messieurs les Secrétaires perpétuels,
Mes chers confrères,
Mesdames, Messieurs,
Cest avec beaucoup démotion que je ressens
le privilège dévoquer la vie hors du commun
du Chancelier Édouard Bonnefous, auquel jai eu
lhonneur de succéder le 15 Juin 2009 dans notre
compagnie.
Édouard Bonnefous est le descendant dune famille
de drapiers de Villefranche-de-Rouergue. Plus porté
sur les choses de lesprit que sur la manufacture, son
arrière-grand-père né à la fin
du règne de Louis XV est bibliothécaire
du Capitole de Toulouse. Son grand-père Virgile né
en 1811, reprend la tradition familiale et crée une
filature à Elbeuf en Normandie, puis sinstalle
à Paris, rue Cortambert dénommée alors
rue des Sablons, à la fin du second Empire. Cest
là que naissent ses deux enfants, Angèle et
Georges.
Née en 1857, Angèle préside la Croix
Rouge du XVIème arrondissement et soigne les blessés
évacués du front à lHôtel
Astoria, transformé en hôpital pendant la guerre
1914-1918.
Son frère Georges, né en 1867, fait de brillantes
études aux Lycées de Vanves et de Janson de
Sailly, obtient une licence en droit en 1890, sinscrit
au barreau de Paris et est élu 2ème secrétaire
de la Conférence en 1892. Il sintéresse
très tôt à la politique, devient chef
adjoint du cabinet du ministre des colonies André Lebon,
rédacteur de lAnnée Politique et
éditorialiste de la République Française
qui avait été le quotidien de Gambetta. En 1899,
il épouse Marie Cuvillier dont le grand-père
est lun des fondateurs de la Bourse. De son mariage,
il a deux enfants : Raymonde née en 1901 et Édouard
né le 24 Août 1907.
 |
Georges Bonnefous
|
Georges Bonnefous est élu député de
Versailles en 1910 et sera constamment réélu
jusquà son retrait volontaire en 1936. Pendant
la Grande guerre, il tient à sengager en dépit
de son âge. Lors de ses permissions, il reste en contact
avec la Chambre et cest sur son initiative quest
créée la Croix de Guerre. Le 28 Juin 1919, il
emmène son fils Édouard, alors âgé
de 12 ans, assister à la signature du traité
de Paix au château de Versailles dans la Galerie des
glaces où avait été proclamé lEmpire
allemand, le 18 Janvier 1871. En 1928, il devient ministre
du Commerce et de lIndustrie dans les gouvernements
de Poincaré puis de Briand.
En 1936, ne voulant plus accepter de participer à une
action politique désordonnée et à ses
yeux sans issue, Georges Bonnefous se retire de la vie parlementaire
et entreprend une histoire politique de la IIIème République
dont il ne signera seul que les 2 premiers tomes sur lavant
guerre (1906-1914) et la Grande guerre (1914-1918). Son fils
Édouard achèvera cette uvre remarquable
dont le 7ème tome est intitulé La course
vers labîme. Comme la souligné
André Siegfried dans la préface du second volume
La Grande guerre, Georges Bonnefous fut à la
fois un serviteur dévoué de la France et un
serviteur convaincu de la République, consacrant à
la Nation sa valeur professionnelle davocat, sa valeur
littéraire décrivain et sa conscience
de parlementaire averti et assidu.
Sa fille aînée, Raymonde, sera une ardente suffragette
et aura deux fils Philippe et Patrice du colonel Jacques Henri
Mignot. Elle créera et dirigera les visites conférences
de la Caisse des monuments historiques et présidera
la Société dhistoire des 8ème et
17ème arrondissements. Son activité intellectuelle
sera récompensée par la rosette de la Légion
dhonneur.
Édouard, après un court passage au lycée
Janson de Sailly, est élève à lécole
Fontanes dirigée par Henri de Gaulle, le père
du Général. Henri de Gaulle lui donne des leçons
de Latin, de Grec, de Français, de Mathématiques.
Il demande à Édouard de venir laider à
servir la messe de 8 heures du matin à lÉglise
voisine de St Thomas dAquin. Édouard est très
heureux à lécole Fontanes. Très
tôt, sa sur Raymonde lobserve assis derrière
une table prononcer des discours. Les deux enfants sont élevés
dans une atmosphère privilégiée de vie
intellectuelle, sociale et artistique et rencontrent dans
le salon de leur mère les personnalités les
plus marquantes de lépoque, notamment des écrivains
Louis Madelin, Henri Bordeaux, Robert de Flers, des journalistes,
Paul Raynaud, Henri Robert.
 |
Mme Georges Bonnefous
et son fils
|
Madame Bonnefous reçoit le dimanche dans son hôtel
de la rue Cortambert. Édouard aura toujours une très
grande affection et beaucoup dadmiration pour cette
mère belle, grande, élégante et distinguée,
dont le buste sculpté par Michel servira de modèle
pour lune des 4 statues du pont Alexandre III.
Madame Bonnefous meurt à 93 ans, en 1969, en pleine
lucidité en disant avec humour « Il ny
a plus dhuile dans la lampe ».
Dès lâge de 18 ans, Édouard rédige
des critiques de théâtre, de cinéma et
même de music-hall. Il entre à lÉcole
libre des sciences politiques, en sort avec un diplôme
de géographie économique, très marqué
par lenseignement dAndré Siegfried qui
restera pour lui un maître respecté et aimé
et le fera entrer à lAcadémie des sciences
morales et politiques. Il est également diplômé
de lInstitut des hautes études internationales
de lUniversité de Paris. Il fait partie du groupe
des moins de 30 ans avec Marcel Pagnol, Pierre Lazareff, Jean
Fayard, jeune Prix Goncourt, Pierre Bost couronné par
le Prix Interallié, Marcel Achard et Steve Passeur,
auxquels il restera très lié.
Dès 1926, Édouard Bonnefous sapproche
de la vie politique et devient lattaché parlementaire
dun collègue de son père, Louis Marin,
ministre des Pensions et des anciens Combattants. En 1928,
il est chef du cabinet particulier de son père, alors
ministre du Commerce et de lIndustrie. Il va assister
aux séances de la Chambre des députés.
Il accompagne ses parents dans leurs voyages officiels :
à Barcelone lors de lexposition internationale,
au Caire où ils sont reçus par le roi Fouad,
au Canada pour le quatrième centenaire de Jacques Cartier.
En 1936, il entreprend seul un long périple à
travers lAmérique Latine et publie à son
retour de nombreux articles sur cette partie du monde. Il
y reviendra plus tard en tant que Président de la commission
des affaires étrangères de lAssemblée
nationale et publiera une Encyclopédie de lAmérique
latine qui fait toujours autorité. En 1937, il
se rend seul au Proche-Orient. Les voyages le passionnent.
Il ira aux États-Unis, au Japon, en Inde, au Pakistan,
au Kenya. Dans son ouvrage Regards sur le monde, publié
en 2004, il écrit : « Dès que
jai pu entreprendre de longs voyages, jai compris
que la découverte de pays nouveaux, loin dapaiser
ma curiosité, était au contraire une raison
de partir plus loin encore ». Il rappelle aussi
cette phrase de Montesquieu : « Les voyages
donnent une très grande étendue à lesprit :
on sort du cercle des préjugés de son pays et
lon nest guère propre à se charger
de ceux des étrangers ». Dans le même
temps, il mène une vie sociale et mondaine très
active, côtoie toute lélite parisienne,
sort le soir. Beau, de haute stature, au nez aquilin qui lui
donne un profil hautain, toujours très élégant,
il fait de nombreuses conquêtes.
 |
Edouard Bonnefous
par Vidal-Quadras (1977)
|
En 1938, la famille Bonnefous est douloureusement frappée
par la mort brutale, lors dun camp scout à St
Tropez, du jeune Philippe, fils de Raymonde, la sur
dÉdouard. Ce dernier qui séjournait dans
le midi sera le premier à voir lenfant sur son
lit de mort. Très affecté, il décide
de ne pas se marier et envisage dadopter son second
neveu Patrice, ce quil réalisera plus tard.
La carrière politique dÉdouard Bonnefous
commence à la fin de la seconde guerre mondiale. Dabord
membre du Comité de libération de Seine et Oise,
et cofondateur de lUnion démocratique et socialiste
de la résistance (UDSR), Édouard Bonnefous est
élu député de Seine et Oise en 1946 à
39 ans. Ses compétences sur toutes les questions internationales
le font accéder le 28 janvier 1947 à la présidence
de la prestigieuse Commission des affaires étrangères
de lAssemblée Nationale où il défend
lidée dun rapprochement franco-britannique.
Il est délégué de la France aux Nations
Unies de 1948 à 1951. Il sera pendant 25 ans un professeur
attentif et exigeant à lInstitut des hautes études
internationales et à lÉcole libre des
sciences politiques.
Dès 1952, il fera partie de la quasi-totalité
des gouvernements de la IVème République :
6 fois ministre, ayant en charge successivement les portefeuilles
du commerce et de lindustrie, des PTT, des travaux publics,
des transports et du tourisme, il est ministre dEtat
dans le cabinet de René Mayer en 1953 et aimera toujours
être appelé « Monsieur le Ministre ».
Ministre des transports, il inaugure laéroport
international de Nice le 1er décembre 1957. Président
de lUDSR, petite formation écartelée entre
2 frères ennemis, René Pleven et François
Mitterrand, il est au centre de léchiquier politique
un maillon indispensable pour la formation des équipes
gouvernementales.
Édouard Bonnefous est lun des pères fondateurs
de lEurope. Il participe au congrès de La Haye
(7-10 Mai 1948) qui démontre lexistence dun
réel courant dopinions en faveur de lunité
européenne. Il en sera lune des personnalités
les plus influentes et propose avec Paul Reynaud la création
dun parlement européen élu au suffrage
universel qui ne verra le jour quen juin 1979.
Le Conseil de lEurope est créé le 5 mai
1949. Sa première Assemblée consultative se
réunit à Strasbourg le 10 août 1949 en
présence des pères de lEurope : Winston
Churchill, Alcide de Gasperi, Paul Henri Spaak, Édouard
Bonnefous, Édouard Herriot, Robert Schuman. Dès
1950, Édouard Bonnefous apporte un appui essentiel
à la création de la CECA, première communauté
européenne intégrée, mais regrette quelle
ne soit pas complétée par une union monétaire,
seule compatible avec la libre circulation des marchandises.
Dans lavant propos de son ouvrage La construction
de lEurope par lun de ses initiateurs, paru
en 2002, Édouard Bonnefous écrit : « Je
nai pas attendu la tragédie de la seconde guerre
mondiale pour être convaincu de la nécessité
de fonder lEurope
Le désastre de la guerre
na fait que confirmer dans mon esprit la nécessité
de rapprocher les pays européens pour mettre en commun
lénorme potentiel économique, culturel
et scientifique dont ils disposent » ; et
il ajoute encore : « Tout au long de ma carrière,
je nai cessé de me passionner pour la cause européenne
qui reste le grand dessein politique du siècle qui
commence ».
Sous la IVème République, Édouard Bonnefous
avait manifesté son adhésion à la construction
de lEurope et à lalliance avec les États-Unis
au sein de lAlliance atlantique mais il estimait prématurée
la Communauté européenne de défense par
crainte du réarmement allemand et il fit partie des
319 députés qui lenterrèrent le
3 août 1954.
Quand le général De Gaulle revient au pouvoir
en 1958 et exprime sa méfiance à légard
de lAngleterre et des États-Unis, Édouard
Bonnefous naccepte pas de renier ses idées et
séloigne du gouvernement.
En sa qualité de membre fondateur de lAcadémie
du monde latin et de créateur, avec le recteur Jean
Sarrailh, de lInstitut des hautes études dAmérique
latine, il reçoit en 1959 la grand croix du mérite
de la République argentine.
En 1959, inscrit au groupe de la gauche démocratique,
il est élu sénateur de Seine-et-Oise et sera
réélu sénateur des Yvelines en 1968 et
en 1977. Vice-président du groupe de la Gauche démocratique,
il accède à la présidence de la commission
des finances du Sénat quil va occuper de 1972
à 1986. Il y sera secondé par Jean Cluzel. Sa
compétence et son exigence sont autant redoutées
que respectées. Sa rigueur et son efficacité
ne sont jamais prises en défaut. Il défend résolument
les droits du Parlement et la pérennité de la
Haute assemblée. En 1969, quand le général
De Gaulle veut la supprimer à lissue dun
référendum qui sera finalement perdu, il est
aux côtés de lancien président du
Sénat, Gaston Monnerville, lun de ses défenseurs
les plus acharnés.
Au terme de quarante ans de vie parlementaire, il devient
en 1986 Conseiller régional dÎle de France
et ne se retire de la vie politique quà 85 ans,
en 1992, après avoir fondé et présidé
lAgence des espaces verts.
Acteur de la vie politique française, Édouard
Bonnefous en est aussi un chroniqueur infatigable. En 1944,
il reprend la publication de Lannée politique
dont son père avait été le principal
rédacteur sous le pseudonyme dAndré Daniel
jusquen 1905.
Passionné par la presse écrite, il crée
en 1946 un hebdomadaire, Toutes les nouvelles de Versailles,
quil développe activement et dont il confie la
direction en 1954 à un brillant journaliste rencontré
en Amérique latine, Roland Faure, qui deviendra président
de Radio France en 1986. Édouard Bonnefous et Roland
Faure sentourent dune équipe dexcellents
journalistes et je nomettrai pas de citer Didier Martin
qui a été rédacteur en chef du journal
de 1984 à 1994 et également secrétaire
général adjoint de lassociation professionnelle
de la presse républicaine longtemps présidée
par Édouard Bonnefous. Toutes les nouvelles de Versailles
deviendra le premier hebdomadaire régional français
dans les années 80. Édouard Bonnefous règne
en maître sur la politique départementale et
suit attentivement toutes les élections, battant la
campagne au pas de charge, imposant ses stratégies,
ses alliances, ses candidats qui sortiront souvent vainqueurs
des scrutins. Il ny a pas de grande ou de petite politique,
disait-il. Il y a la politique, celle qui, à tous les
échelons, sintéresse à la vie des
habitants dune commune, dun canton, dun
département, dune région ou de la nation.
Mais la vie quotidienne de ses concitoyens monopolise cependant
son attention. Il a compris très vite que cest
la fidélité des lecteurs quil faut entretenir
en permanence par le contenu des articles mais aussi par les
contacts avec le lectorat. Il a compris très tôt
limportance et limpact des média et prend
la parole avec pertinence lors dune séance de
lAcadémie des sciences morales et politiques
sur leur rôle et leur évolution au XXème
siècle quelques mois avant sa disparition.
Si la res publica a constitué au cours de sa longue
vie, lintérêt majeur de son existence,
Édouard Bonnefous nen restera pas moins pour
la postérité le mémorialiste du XXème
siècle. Ce quavait écrit de Tacite en
1837 Charles Louis Panckoucke peut lui être appliqué :
« Tout lavait favorisé dans sa grande
entreprise : tradition antique, éducation des
premiers temps, liaisons honorables, fonctions dans lÉtat
qui lui donnaient les moyens de pénétrer les
choses inconnues au vulgaire ».
Mémorialiste du XXème siècle, Édouard
Bonnefous lest par deux uvres remarquables :
Lhistoire politique de la IIIème République
et Avant loubli.
Initiée par Georges Bonnefous, complétée
et achevée par son fils Édouard, lhistoire
politique de la IIIème République couvre avec
ses sept tomes la période 1906-1940. Cest le
travail de deux historiens qui ont vécu et vu les évènements
et les ont compris. Le père, dans les deux premiers
volumes, puis le fils décrivent avec une parfaite homogénéité
la nouvelle atmosphère du XXème siècle,
les changements dans les murs, dans les conditions de
vie avec lauto qui entre rapidement dans la vie quotidienne,
lavion qui efface les distances, le sport qui fascine
les jeunes. Ils brossent un remarquable tableau de la Grande
guerre, décrivent ses conséquences économiques
désastreuses et linstabilité politique
chronique entre les deux guerres avec une République
menacée par une droite qui ne laccepte pas et
par une gauche qui naccepte pas lordre social,
jusquà la course à labîme
où la IIIème République va cesser dexister
après le vote de lAssemblée nationale
réunie à Vichy qui remet tous les pouvoirs au
gouvernement Pétain. Je citerai ce jugement dÉdouard
Bonnefous sur la République du XXème siècle
extrait de son dernier volume : « On peut
distinguer nettement deux périodes. Pendant la première,
les chefs du gouvernement et les principaux leaders politiques
sont passionnément attachés à des principes
essentiels sur lesquels repose la République elle-même.
La défense républicaine correspondait alors
à une réalité dont le peuple lui-même
avait convenu quil ne fallait pas y laisser toucher.
Cette mystique inspirait, malgré les divergences dopinion
ou les nuances de leur pensée des hommes aussi différents
que Jaurès, Poincaré, Clemenceau, Briand.
« Et le temps fit peu à peu son uvre
de lente érosion. La seconde période commence
après la victoire de 1918, victoire qui eut aussi pour
conséquence de détendre les énergies,
et, avec la vie facile, de faire éclater une soif de
jouissance trop longtemps contenue. La crise de lÉtat
commença et rapidement apparurent ses premiers symptômes ».
Je citerai encore ces lignes consacrées au Front populaire.
Édouard Bonnefous écrit : « Si
en Juin 1936 la bourgeoisie française a eu très
peur, le Front populaire reste associé dans beaucoup
desprits à des idées de troubles, dinflation,
de dégradation monétaire. Lhistorien doit
reconnaître que ces notions ne sont pas entièrement
fausses, mais juin 1936 fut aussi le début dune
grande espérance populaire, dune grande impatience
de réformes, dune soif de mieux vivre. Au cours
de ces années furent prises des décisions capitales,
modifiant profondément nos structures politiques, transformant
aussi le mode de vie dune large fraction de la population :
loi sur les congés payés, lois sur les 40 heures,
sur les conventions collectives, sur la conciliation et larbitrage
dans les conflits de travail, sur la retraite des vieux travailleurs,
la nationalisation des usines darmement, le programme
de grands travaux. Cette uvre sera reprise et continuée
lors des réformes de 1945. Elle constitue toujours
lossature de notre système social. On doit mettre
à lactif de son chef Léon Blum, le maintien
de notre pays hors de la guerre dEspagne. Son sens politique,
son attachement incontestable à la paix lui permirent
notamment déviter de se laisser aller à
prendre des décisions aventureuses. Et ce fut après
la halte de Munich, la marche vers la guerre et la course
vers labîme qui se conclurent par lagonie
de la IIIème République ».
Mais cest Avant loubli, luvre
magistrale dÉdouard Bonnefous, une uvre
riche et foisonnante de vie qui embrasse tout le XXème
siècle. Dans la préface du premier tome, Jean
Baptiste Duroselle répond à cette question :
« De cette France, Édouard Bonnefous a-t-il
tout vu ? Je dirais volontiers quil a regardé
dans toutes les directions ». Effectivement, Édouard
Bonnefous a regardé dans toutes les directions et rien
de ce qui se passait en France et dans le monde ne lui est
demeuré étranger. Dans lavant-propos de
son premier volume, Édouard Bonnefous rappelle que
les quatre premières décennies du XXème
siècle sont marquées par lalternance de
deux périodes heureuses : la Belle époque
puis les Années folles, séparées par
une période tragique : la Grande guerre de 1914-1918.
Il démontre comment la France, malgré cette
épreuve, a réussi à se redresser, à
réparer ses ruines, à faire face à des
charges financières très lourdes et à
maintenir sa capitale comme le centre rayonnant dune
vie intellectuelle, artistique, théâtrale si
exceptionnelle que lélite du monde entier devait
sy retrouver. La société avec ses salons,
le monde des chasses, des bals et des réceptions somptueuses
brille de ses derniers feux. Édouard Bonnefous décrit
avec un grand talent les derniers bals dÉtienne
de Beaumont, la féerie du bal Besteigui à Venise
au Palais Labia, célèbre par ses fresques de
Tiepolo, le bal Patino. Les médias prennent le relais,
donnant, comme lécrit Édouard Bonnefous,
aux succès et aux échecs, une nouvelle dimension
à la mesure des phénomènes de masse.
Laprès guerre de 40 connaît des mouvements
aussi frénétiques que ceux des années
30 : lagitation sociale de la fin de 1947 avec
des grèves atteignant les mines, les transports et
la poste, lexplosion de mai 1968 en sont lillustration.
Les trois décennies de 1940 à 1970 sont marquées
par le choc de la défaite de 1940, les tragiques et
longues années doccupation, laffaiblissement
de la France qui perdait ses illusions de grande puissance,
linstauration de la Vème République et
la présidence du général De Gaulle. Édouard
Bonnefous rappelle que le général De Gaulle
est resté 10 ans, 9 mois et 28 jours à la tête
de la France du 1er Juin 1958 au 28 Avril 1969. Je cite :
« Il a eu le bénéfice de la continuité
et de la durée
». Prudemment, il ajoute :
« Il est trop tôt pour porter un jugement
définitif que seule lHistoire prononcera
« En se faisant élire au suffrage universel,
Charles De Gaulle pensait ne pas seulement incarner la permanence
de lÉtat et de ses institutions mais devenir
le guide de la France, personnalisant à lextrême
le pouvoir
Indépendance, défense nationale
furent les principes fondamentaux de sa politique extérieure
auxquels tout le reste fut subordonné ».
Édouard Bonnefous rappelle lamertume du général
De Gaulle après léchec du référendum
du 27 Avril 1969 et cite cette phrase que le Général
aurait prononcée : « Les Français
ne veulent plus de moi, ils renoncent à être
la France, ils préfèrent être un petit
peuple. Ils ont dit non à leffort
»
Dans le troisième et dernier tome dAvant lOubli,
Édouard Bonnefous conclut : « Ce siècle
a été dune richesse extraordinaire et
dans le même temps dune redoutable complexité.
Les découvertes scientifiques ont constitué
des avancées brusques, qui ont provoqué parfois
de véritables révolutions. Entre les débuts
de lautomobile et les avions supersoniques, la vie des
hommes a été totalement bouleversée.
Les progrès de la médecine et les réussites
de la chirurgie ont heureusement permis de soigner, de guérir
et dallonger lespérance de vie
Ils
contraignent les pouvoirs publics dans les pays développés
à faire face aux redoutables questions économiques
et sociales soulevées par le vieillissement et, dans
les pays du tiers-monde, à tenter de résoudre
les problèmes de lexplosion démographique
« Aucune comparaison nest possible entre
les conditions de la première guerre mondiale et les
possibilités de destruction des armes modernes. La
paix trouvera-t-elle une meilleure chance dans cet équilibre
de la terreur ? On ne peut cependant ignorer les guerres
civiles et tribales qui se multiplient, avec leurs hécatombes
et leurs cortèges de réfugiés dont les
médias retransmettent les horreurs
Lhomme
est un apprenti sorcier nous a-t-on longtemps répété.
Cest seulement de nos jours que ce propos trouve sa
pleine justification, nos contemporains disposant à
la fois des moyens de se détruire et danéantir
leur environnement
Nous mesurons désormais notre
fragilité dans lespace et dans le temps face
à un Univers dont nous ne pouvons même pas concevoir
les limites ».
Véritable guetteur du XXème siècle, Édouard
Bonnefous aura été à la fois homme daction
et homme de pensée, auteur de 45 ouvrages, poursuivant
le discours politique par le livre et par laction sur
le terrain, rappelant les combats quil a menés
pour la construction de lEurope, les dérives
des gouvernements dépensiers analysées dans
son livre À la recherche des milliards perdus,
véritable réquisitoire contre une politique
dispendieuse et inefficace daide aux pays en voie de
développement.
Il dénoncera aussi les risques liés à
la dégradation de lenvironnement dans une série
douvrages dont les titres sont de véritables
cris dalarme : La terre et la faim des hommes
(1960), Lhomme ou la nature (1970), Sauver
lhumain (1976), Le monde en danger (1982),
Le monde est-il surpeuplé (1988), Lenvironnement
en péril (2001).
Dans la préface de Lhomme ou la nature,
Jean Rostand écrivait : « Ce livre
ouvrira les yeux à beaucoup, il secouera les inerties,
stimulera des nonchalances, orientera des bons vouloirs, aidera
à la concertation des efforts. » Ces lignes
prémonitoires devaient se concrétiser rapidement
par la création du premier ministère de lenvironnement
confié à Robert Poujade.
Dans son ouvrage Sauver lhumain (1976), Édouard
Bonnefous pose la question : lhomme dirige-t-il
encore son destin ? Il souligne laction délétère
des technocrates imbus dune supériorité
quils sattribuent, avides dune puissance
incontrôlable, il dénonce la course effrénée
vers le progrès et les risques des désastres
écologiques.
Dans lintroduction de Réconcilier lhomme
et la nature, publié en 1990, Édouard Bonnefous
rappelle la déforestation massive de lAmazonie,
lampleur et la répétition des pollutions
pétrolières, les contaminations nucléaires,
le déchirement du voile dozone et constate que
lhomme est devenu un agresseur qui ne connaît
plus sa force, dilapidant autant quil salit. Édouard
Bonnefous cite cette mise en garde lancée par Nietzsche
il y a près dun siècle : « Nous
sommes dun temps dont la civilisation risque de périr
par la civilisation ». Réconcilier lhumain
et la nature est bien la tâche primordiale du nouveau
siècle qui commence et ne peut que reposer sur une
coopération internationale.
 |
Devant l'Institut
(1960)
|
Cest le 3 mars 1958 quÉdouard Bonnefous
entre à lInstitut. Il est élu membre libre
de lAcadémie des sciences morales et politiques
au fauteuil de Maxime Leroy, magistrat, professeur à
lEcole des sciences politiques, président de
la Conférence des juges de Paris et de la Seine. Âgé
de 51 ans, il est alors le benjamin de la compagnie. À
sa mort, il en sera le doyen dâge et délection.
Il simpose demblée par son assiduité
aux séances, par la qualité de ses interventions,
par sa participation aux travaux. Il devient membre titulaire
dans la section générale le 4 Mai 1964 et préside
lAcadémie en 1968. Le 16 Mai 1978, il est élu
à lunanimité chancelier de lInstitut
de France, succédant dans cette fonction prestigieuse
à Jacques Rueff. Il sait administrer, il sait convaincre
et il sait décider. Il sera réélu régulièrement
chancelier pendant 15 ans, mettant volontairement un terme
à son mandat à la fin de lannée
1993. Il sera alors élu chancelier honoraire le 4 Janvier
1994, à lunanimité, avec les remerciements
de ses confrères pour son action.
Le mandat du chancelier Bonnefous est marqué par la
représentation brillante quil a donné
de linstitution et par des travaux de rénovation
et de modernisation du Palais qui vont permettre son adaptation
progressive aux missions croissantes des cinq Académies.
Le chancelier créé des salles de commission,
des salons de réception magnifiquement décorés
de tapisseries dAubusson. Il aménage la salle
des cinq Académies, il rénove la salle de lecture
de la bibliothèque, il améliore la sonorisation
et le chauffage mais il rénove également le
château de Langeais, le Musée Jacquemart André,
lHôtel Dosnes Thiers, la fondation Théodore
Reinach, la Villa Kerylos, le Musée Marmottan. Il crée
une Fondation avec un prix qui porte son nom, décerné
en 2004 à Nicolas Hulot. Il fait des donations qui
marquent son attachement profond à lInstitut
de France.
|
Edouard Bonnefous
et le cardinal Josef Ratzinger
lors de son installation comme associé étranger
à l'Académie des Sciences morales et politiques
(1992)
|
En octobre 2006, les présidents et les secrétaires
perpétuels des cinq Académies choisissent unanimement
pour thème de la séance solennelle de lInstitut,
« Lhomme et la nature » en hommage
à Édouard Bonnefous, pionnier de lenvironnement
qui entre dans sa 100ème année. Le 24 octobre,
dans son discours inaugural, le président André
Damien rappelle le psaume 106 : cest lhomme
qui change les fleuves en désert, les régions
où se trouvent des sources en pays de la soif et les
terres généreuses en terres salées improductives.
André Damien souligne quÉdouard Bonnefous
est le véritable créateur de lécologie
moderne : « Très tôt, il a voulu
faire prendre conscience à lhomme de la valeur
de la nature pour le plus grand bien de lhumanité
et a exalté une écologie raisonnable et nécessaire ».
LAcadémie nationale de médecine avait
élu en 1980 Édouard Bonnefous en tant que membre
libre non médecin dans sa section de médecine
sociale, pour son engagement en faveur de lenvironnement
et il fut heureux et fier dappartenir à notre
Compagnie. Passionné par tous les problèmes
de santé publique, il participait régulièrement
aux séances de lAcadémie, nhésitant
jamais à donner son avis, toujours écouté
avec respect et attention, heureux de retrouver dans notre
Hôtel de la rue Bonaparte son ami Cottet avec lequel
il passait chaque année quelques semaines estivales
de détente à Evian.
Édouard Bonnefous fut également membre étranger
de lAcadémie royale de Belgique et membre étranger
de lAcadémie de Roumanie. Il fut lun des
piliers de lAcadémie de Versailles avant den
devenir le président dhonneur. Il fit don à
lAcadémie sous lappellation de Fondation
Édouard et Patrice Bonnefous, dun appartement
jouxtant sa propriété de Versailles au 2 rue
de Limoges où lAcadémie put se réunir
pour ses séances de travail. Assistant fidèlement
aux réunions, il écoutait attentivement les
orateurs invités et posait des questions toujours pertinentes
et précises qui étonnaient lauditoire,
comme le rappelle Monsieur Jehan Despert, secrétaire
perpétuel de lAcadémie de Versailles.
Le samedi 20 janvier 2007, un mois avant sa mort, il anima
encore la 1ère réunion de lannée
2007 de lAcadémie, évoquant pendant près
dune heure les batailles quil avait menées
pour lenvironnement. « Je me montre et jai
tort » avait-il déclaré demblée.
Madame Patricia Bouchenot-Dechin qui présidait alors
lAcadémie écrit dans léditorial
de la Revue de lhistoire de Versailles consacrée
à Édouard Bonnefous quà lissue
de la séance, nombreux ont été les participants
à lui dire quil avait eu raison de se montrer.
Édouard Bonnefous présida le Conservatoire national
des arts et métiers et créa le Musée
des Arts et Techniques qui manquait à la France. Il
présida aussi le Muséum dhistoire naturelle
et surtout lInstitut océanographique de Monaco,
créé par le Prince Albert 1er en 1900. Il aimait
se rendre sur la Côte dAzur à la saison
des mimosas. Le don dun navire océanographique
par la Fondation Singer Polignac permit la reprise des missions
dexploration.
Prestigieuse institution de mécénat créée
en 1928, la Fondation Singer Polignac a bénéficié
de limpulsion dÉdouard Bonnefous qui en
a été le 7ème président depuis
Raymond Poincaré. Il y a exercé ce mandat pendant
vingt-deux ans avec la minutie scrupuleuse et lintelligence
quil portait à toutes choses, mais aussi avec
une fidélité affectueuse à Winnaretta
Singer, princesse de Polignac, organisant de merveilleux concerts
consacrés aux uvres de Debussy, de Fauré,
de Chabrier, de Ravel, de Satie, de Poulenc, de Stravinsky,
créées pour la plupart dans le salon de musique
du magnifique hôtel de lavenue Georges Mandel,
où Proust situe lultime soirée du Temps
retrouvé et où se pressait le tout Paris.
Il veillait à ce que les programmes soient conformes
à lesprit et au goût de la princesse et
puissent mettre en valeur le talent de jeunes musiciens de
qualité. Toujours habillé avec élégance,
dans son costume trois pièces bleu foncé égayé
dune cravate de soie chatoyante et dune écharpe
de cachemire jaune, le Chancelier venait sasseoir au
premier rang de lassistance et écoutait le concert
dune oreille avertie et exigeante en bougonnant quand
il nappréciait pas le morceau exécuté.
Mais il organisait aussi régulièrement des colloques
de haute tenue consacrés aux arts, aux sciences, à
la médecine (jeus lhonneur den diriger
personnellement deux sur la cardiologie à laube
du 3ème millénaire et sur la médecine
française au début du 21ème siècle),
des colloques consacrés également à lhistoire,
aux problèmes de société dont il avait
toujours étudié soigneusement le programme et
dont il surveillait ensuite la publication et la diffusion.
Comme la souligné mon confrère de lAcadémie
de médecine, le professeur Yves Pouliquen, son successeur,
Édouard Bonnefous aura été un grand président
de la Fondation Singer Polignac. Il fut aussi vice-président
de la Fondation Cino del Duca pendant 24 ans.
Je men voudrais de ne pas évoquer les cercles
parisiens quil anima pendant plus dun demi-siècle :
le Nouveau cercle de lUnion dont il fut vice-président,
le Cercle Interallié dont il fut premier vice-président,
où il aimait recevoir ses amis à déjeuner
au son de la harpe, et le Saint -Cloud Country Club. La vie
mondaine de Paris navait pas de secret pour lui. Il
fut de toutes les soirées et de tous les grands bals
qui firent du Paris de lentre deux-guerres la capitale
de la fête. Mais il cultivait aussi lart de la
réception, aimait que sa table fût belle et son
menu délicieux, recevant avec élégance
les personnalités les plus éminentes du monde
politique et de la société. Il savait intéresser
chaque convive à la conversation parce quil savait
lui-même sintéresser à toute chose
et parce quil sinformait de tout.
|
Avec Gina Lollobrigida
lors de la première du film
Pain, amour et jalousie (1955)
|
Personnalité puissante, passionnée et passionnante,
aux multiples facettes, remarquable par son intelligence,
par sa prodigieuse mémoire, par sa culture, par son
humanisme, par sa curiosité desprit toujours
en éveil, par son verbe clair et limpide mais parfois
tranchant, Édouard Bonnefous aura parcouru le XXème
siècle en occupant les fonctions les plus prestigieuses
à lInstitut de France et dans la société.
Sil était profondément républicain,
il naimait pas légalitarisme. Il avait
un sens aigu des hiérarchies sociales et détestait
quon lui manquât de respect.
Autoritaire, dun caractère souvent difficile,
exigeant et rugueux, cétait un homme de cur,
fidèle en amitié, généreux et
attentif, qui dans lintimité aimait rire parce
quil était gai. Ses loisirs étaient toujours
studieux : lhomme se repose en changeant de travail,
répétait-il souvent..
 |
Edouard Bonnefous,
l'homme de cur
|
Il mavait confié son cur en 1979 et pendant
28 ans il ma honoré de sa confiance. Une grande
affection sétait développée entre
nous. Durant ses dernières années, il ne se
passait guère de jour où nous nayons un
échange téléphonique, de semaine sans
que je lui rendîs visite. Sa belle activité intellectuelle
était restée intacte. Je le retrouvais assis
majestueusement dans son grand fauteuil du bureau du premier
étage de son bel hôtel Napoléon III
de la rue de lÉlysée quil a légué
à lInstitut, un sourire en demi-teinte, lil
vif sous les sourcils broussailleux. Il me questionnait longuement
sur la vie de lAcadémie de médecine, sur
les programmes de ses réunions, sur ses travaux, me
conseillait sur les liens quil convenait de tisser quand
jen devins le président en 2005 et me reprochait
régulièrement sa température trop froide
et son chauffage insuffisant.
Ses réflexions ouvraient toujours une fenêtre
sur dautres horizons. Il me demanda un soir si jétais
croyant. Je lui répondis affirmativement. Avec de la
malice dans le regard, il me dit alors : Comment expliquez-vous
la création de Mahomet par Dieu ? ».
Je ne lui répondis pas, mais je le devinais inquiet
du devenir de lhomme après sa mort.
Édouard Bonnefous sest éteint le 24 février
2007 pendant son sommeil, dans sa maison comme il lavait
toujours souhaité, le visage empreint de sérénité
comme je pus le constater en arrivant à son chevet
à 2 heures trente du matin. Nous ne loublierons
pas. Aujourdhui, il est moins mort quil na
simplement cessé de vivre.
|
 |